31-07-2025
La Cour supérieure autorise l'action collective
Aux côtés d'autres familles de victimes de traitements expérimentaux effectués à Montréal pour le compte de la CIA, Julie Tanny se bat depuis plusieurs années pour obtenir justice. La Cour supérieure du Québec a autorisé jeudi leur action collective.
Mme Tanny avait 5 ans lorsque son père est entré à l'Institut Allan Memorial de l'Université McGill. Électrochocs puissants, comas forcés, privation de sommeil, cocktails médicamenteux, tentatives de reprogrammation mentale : il y aurait subi une foule de sévices qui l'ont changé à jamais.
« Ils utilisaient des décharges électriques conçues pour effacer la mémoire de votre cerveau. Ensuite, ils vous mettaient dans une chambre, dans un coma, et faisaient tourner des magnétophones. Tout cela était complètement fou, ils pensaient qu'ils pouvaient ainsi remplacer les pensées dans votre tête », explique Mme Tanny.
L'objectif des expérimentations menées dans le plus grand secret par le Dr Donald Ewen Cameron : laver et reprogrammer le cerveau de ses cobayes. Entre 1948 et 1964, en pleine guerre froide, il a fait vivre l'horreur à plusieurs centaines de victimes au nom d'un projet de recherche nommé MK-Ultra. Elles pourraient être jusqu'à 400, selon Mme Tanny.
« Je n'ai jamais été prête à porter plainte seule, mais quand un groupe a commencé à se former, ça nous a fait nous sentir plus puissants. Vous savez, vous portez plainte contre le gouvernement, contre l'université, contre l'hôpital, contre la CIA. Ce ne sont pas de petites institutions », explique-t-elle.
Dommages physiques et psychologiques
L'action collective qui vient d'être autorisée par la Cour supérieure du Québec permettra aux victimes, à leurs familles immédiates et à leurs successions de poursuivre collectivement l'hôpital Royal Victoria et l'Université McGill, dont relevait l'Institut Allan Memorial, ainsi que le gouvernement canadien pour leurs rôles présumés dans cet épisode sombre de l'histoire médicale montréalaise.
La Cour d'appel du Québec a statué en 2024 que le gouvernement américain ne pouvait pas être poursuivi au Canada pour son rôle allégué dans les expériences menées à Montréal.
La poursuite avance que l'hôpital Royal Victoria et l'Université McGill auraient toléré les traitements expérimentaux controversés et que le gouvernement canadien aurait participé à leur financement. Ce faisant, ils auraient contribué aux dommages physiques et psychologiques subis par les patients.
Dans une publication scientifique citée par le juge, le Dr Cameron, aujourd'hui décédé, affirmait que ses expérimentations pouvaient mener à une désorientation spatio-temporelle, à des pertes de mémoire importantes, à la perte de la connaissance d'une deuxième langue ou même de son statut d'époux et à des difficultés physiques, comme l'incapacité de marcher sans aide ou l'incontinence. « Quand ma mère est allée lui rendre visite [là-bas], il était comme un enfant », explique Mme Tanny en parlant de son père.
Elle évoque d'autres problèmes à plus long terme possiblement liés à l'exposition répétée à des électrochocs de 50 à 75 fois plus puissants que la normale thérapeutique. « Mon père a eu deux crises cardiaques et un AVC important à l'âge de 60 ans, ce qui l'a laissé sans capacité de communication et paralysé, et il est resté dans cet état pendant 18 ans. »
La Cour jugera du mérite de la position des victimes plus tard dans le processus, mais la juge Dominique Poulin a statué que la preuve qu'elles avaient présentée était suffisamment étayée pour permettre à la poursuite d'aller de l'avant. À ce stade, aucune somme associée aux réclamations n'a été évoquée publiquement par les parties.
Me Jeff Orenstein, avocat des demanderesses, se réjouit de ce jugement. Malgré les défis associés à la documentation des faits, puisque de nombreux documents datant de cette époque ont été détruits, il est sûr d'en arriver à une conclusion apaisante pour les familles éprouvées. « Ça fait déjà 70 ans que les patients et leurs familles cherchent la justice. En 2025, pour la première fois, ils ont d'après moi une chance de l'obtenir. »
McGill, l'hôpital et le gouvernement invoquent la prescription
Devant la Cour, les défendeurs ont mis de l'avant les décennies écoulées depuis les faits allégués pour tenter de faire rejeter la demande d'autorisation. Le juge a statué que ce débat sur la prescription ne pouvait être tranché à ce stade du processus.
Ce n'est pas la première fois que l'Université McGill, l'hôpital Royal Victoria et le Procureur général du Canada plaident que les poursuites liées aux expérimentations du Dr Cameron auraient dû être intentées il y a des années.
Dans une autre poursuite, qui n'est pas une action collective, une soixantaine de familles demandent elles aussi des indemnisations pour les traitements subis à l'Institut Allan Memorial dans les années 1950 et 1960.